Écrit par:Zoe Hart
Photos par:Travis Rummel
Lieu:Alpes françaises; les Dolomites

ALPES FRANÇAISES, 2016

Mon téléphone sonne tandis que j’installe Mika dans le sac à dos pour bébé. Mon mari, Max, appelle du travail pour s’informer sur mon plan de la journée.

« Oh, nous venons de prendre le train depuis Montenvers, et je vais faire une randonnée jusqu’au téléphérique Plan d’Aiguille », que je lui réponds. « Nous », c’est moi et mes deux jeunes garçons.

« Toute seule? » qu’il demande, légèrement préoccupé par mon excès de confiance. Ou peut-être mon manque de prévoyance. Ou les deux.

« Oui, ça va aller », que je réponds. « Dans le pire des cas, j’ai apporté un porte-bébé, pour pouvoir transporter Mika à l’avant et Mathias dans le sac à dos », dis-je d’une voix nonchalante. « Je pense m’arrêter au refuge à la fin de la randonnée, avant de descendre », que j’ajoute, espérant qu’en mentionnant des détails, j’aurai l’air d’avoir un plan. Ces refuges traditionnels que l’on trouve dans les montagnes européennes font toute la différence lors de randonnées avec les tout-petits.

Il y a douze ans, Zoe Hart faisait de la randonnée uniquement pour se rendre à ses points d’escalades. L’arrivée de son premier fils, Matthias, l’a poussée à passer plus de temps sur les sentiers au bas des montagnes.

Max émet un long soupir à l’autre bout de la ligne, peu surpris par mon plan trop ambitieux : faire une randonnée de 6,5 km avec une élévation allant de

460 m à 2130 m d’altitude, par moi-même, avec deux garçons de trois et quatre ans. De plus, la randonnée est une traversée, et non une montée et une descente. Ainsi, en faisant demi-tour à mi-chemin, il nous reste la même quantité de travail à accomplir pour revenir. Mais j’avais confiance en moi et en ma capacité à gérer.

POUR MOI, LA RANDONNÉE A TOUJOURS ÉTÉ UN MOYEN DE PARVENIR À UN BUT. UN MOYEN PRATIQUE D’ARRIVER À MON POINT D’ESCALADE.

En Europe, surtout dans les Alpes, la randonnée est une activité intergénérationnelle. Elle occupe une place importante dans les aventures hebdomadaires des familles à chaque saison, même en hiver, sur des raquettes. Des gens de tous âges marchent, font de la randonnée, explorent, se nourrissent de baies et de champignons, et profitent simplement de la beauté du paysage.

Mais pour moi, la randonnée a toujours été un moyen d’atteindre un but. Une façon pratique d’arriver à mon point d’escalade. Jusqu’à ma première grossesse, Max et moi avons passé beaucoup de temps à faire des expéditions, indépendamment ou à deux, dans des chaînes de montagnes isolées du monde entier. Nous faisions du pouce avec nos sacs à dos, embarquant dans des voitures, des fourgonnettes et des camions, nous dormions dans des bivouacs de versants nord et faisions des randonnées de plus de 40 heures en Alaska.

En 2023, Zoe Hart et sa meilleure amie Hanna Restorp se sont mises en route avec leurs trois garçons pour faire de la randonnée de refuge en refuge dans les Dolomites.
Zoe et Hanna se sont fixé des objectifs de 4 à 5 heures de randonnée par jour et étaient très fières de voir leurs enfants se motiver mutuellement.

Nous nous sommes rendu compte que nous étions arrivés à un point où l’escalade nous amenait dans des lieux trop périlleux. Les possibilités étaient

infinies, mais il n’est pas forcément intelligent de les explorer. Et nous remarquions avoir enterré trop d’amis en trop peu d’années.

À ce moment-là, j’avais vécu quelques moments dangereux, comme être coincée sur une crête tranchante, voir les éclairs toucher les sommets environnants tandis que mes boucles d’oreilles me brûlaient les oreilles au sein d’un halo d’électricité. Ou souffrir d’une hémorragie cérébrale causée par un accident de ski-parapente, le nouveau sport sensationnel que nous avions décidé d’essayer.

J’ai réalisé qu’il était temps de sortir de la voie dans laquelle je me trouvais. Non seulement parce que nous étions en train de fonder une famille, mais aussi parce que survivre était devenu un simple coup de chance.

Donc, après presque 13 ans dans les Alpes, lorsque j’étais enceinte de Mattias, j’ai réalisé que j’avais passé très peu de temps sur les sentiers au bas des montagnes.

Après deux longues journées de randonnée, Zoe, Hanna et leurs garçons arrivent à la fin de leur aventure, le Fanes Rifugio. Les garçons enlèvent leurs vêtements et jouent dans l’eau glaciale.

Bien que la randonnée du train Montenvers jusqu’au téléphérique Plan d’Aiguille est supposée ne prendre qu’une heure et demie ou deux heures, nous sommes en train d’entamer notre quatrième heure. À ma grande surprise, il arrive à Mathias de courir – à la vitesse d’un enfant de quatre ans – et de gambader le long du chemin rocheux en altitude. Mika est dans mon sac à dos et chante en harmonie avec le rythme de mes pas.

Nous avons fait de nombreux arrêts et pris des collations en quantité épique. Il y a de magnifiques rochers à admirer, des baies à cueillir sur le chemin et de petites rivières idéales pour s’y baigner, ce qui nous a grandement ralentis dans nos progrès.

De temps en temps, on entend des plaintes parce que des ampoules commencent à se former, et parce que j’oublie que Mathias n’a que quatre ans, et que je lui en demande beaucoup. Ensuite, ces ampoules sont vite oubliées en raison des marmottes qui sifflent au loin. Ou bien un bouquetin aux cornes acérées se pavane dans les rochers derrière nous.

Enfin, nous voyons un refuge de montagne à l’horizon.

Les deux garçons les plus âgés ayant plus d’expérience en longues randonnées de refuge en refuge, ils ont assumé le rôle de leaders et d’aidants.

Pendant ma première année d’université, mon père est décédé de manière inattendue à l’âge de 43 ans, soit un an plus jeune que moi au moment où j’écris ces lignes. Après avoir transféré un an au College of New Jersey pour être plus près de chez moi, j’ai ressenti le besoin de bouger et j’ai su que je devais partir. Mon expérience en montagne a commencé avec un parcours NOLS d’un mois (National Outdoor Leadership School [École nationale de leadership en plein air]) l’été après ma deuxième année, où j’ai fait de l’alpinisme sur les glaciers des

Cascades du Nord. Je l’ignorais à l’époque, mais le mouvement et la paix, lesquels j’ai trouvés dans les montagnes, deviendraient ma zone de confort dans diverses itérations pour le reste de ma vie.

Dans les Cascades, les journées étaient longues, les charges lourdes, et à la fin de chaque jour de tempête, il y avait encore du travail à faire. Nous avions des tentes à installer, de l’eau à faire fondre et des repas à cuisiner. Le sommeil venait facilement grâce à un épuisement et une satisfaction profonds; les couchers et les levers de soleil glaciaires calmaient mon esprit à la fois mélancolique et confus. À chaque moment d’une journée de 17 heures, j’étais présente d’esprit, transformant ma confusion en compréhension.

À la fin du mois, je trouvais difficile de quitter ces lieux. Mes rêves à la Jack Kerouac avaient été éveillés, et je ne voulais jamais qu’ils se terminent. J’avais trouvé en moi la capacité d’aller plus loin que je ne l’avais jamais imaginé, et j’ai développé une force et une résilience insoupçonnées. Cette découverte, cette révélation, ce n’était que le début, je le sentais. Je pouvais voir un chemin se profiler à l’horizon, mais je n’avais aucune idée où il me mènerait, et c’est exactement ce qui me passionnait.

Au refuge, il y a des gâteaux, des gens à qui parler, lesquels félicitent les garçons pour leur exploit à un si bas âge. Et je commence à me rendre compte que je suis épuisée de trimbaler deux petits humains et d’essayer de les garder motivés pendant des heures. Mais de cet épuisement émerge aussi une gratitude pour mon rôle de parent, et je me sens en paix. Et je suis reconnaissante que mes enfants embarquent dans l’aventure, avec des sourires et une appréciation qui s’intensifient d’année en année. Je suis reconnaissante d’avoir trouvé un moyen de garder le mouvement dont j’ai besoin et d’apaiser mon esprit agité durant cette phase de ma vie.

Mathias bondit avec une énergie débordante sur les derniers mètres menant au refuge, criant un « BONJOUR » trop fort au gardien du refuge, ce qui nous fait tous éclater de rire. Les lèvres bleutées par les mûres sauvages et le ventre rempli de tartes faites maison, nous marchons lentement les 10 minutes du refuge jusqu’au téléphérique qui nous ramènera en ville. Mathias, débordant d’énergie comme toujours, avec un esprit semblable au mien, se met à nous bombarder de questions. Y a-t-il d’autres refuges que nous pouvons visiter? Et quand? Et pouvons-nous y dormir, ou dans un autre refuge, et quand, où et comment?

IL M’A FALLU DU TEMPS POUR Y ARRIVER. POUR COMPRENDRE QUE C’EST ÇA, L’AVENTURE : DES INSECTES, DES BAIES, DES OOHS ET DES AHHS.

Je ne pense pas avoir répondu à toutes ses questions, parce que je suis épuisée physiquement et mentalement. Je souris parce que je me rends compte que nous sommes arrivés, non pas à la fin, mais au début.

Avant, je les transportais, et maintenant, nous marchons, lentement. L’avenir paraît si radieux dans les valons de ces montagnes et ces petits sanctuaires magiques, ces refuges où nous trouvons des gâteaux, des cafés, des lits, des histoires et des jeux d’échecs. Ce sont des moments où nous ne faisons qu’exister, oubliant le rythme effréné de nos vies trépidantes.

Il m’a fallu du temps pour y arriver. Il a fallu des crises et des effondrements pour comprendre ce qui est suffisant, sans être trop. Et pour comprendre que c’est ça, l’aventure : des insectes, des baies, des rochers, des ooh et des ahhs, au son du vêlage des glaciers en provenance des hautes montagnes.

En 2023, Zoe Hart et sa meilleure amie Hanna Restorp se sont mises en route avec leurs trois garçons pour faire de la randonnée de refuge en refuge dans les Dolomites.
Zoe et Hanna se sont fixé des objectifs de 4 à 5 heures de randonnée par jour et étaient très fières de voir leurs enfants se motiver mutuellement.

LES DOLOMITES, 2023

Le voyage de cet été dans les Dolomites a été initié par Mika, un rêve qui est né suite à une visite printanière, il y a quelques années, où la neige avait été trop abondante. Ce voyage est son rêve, auquel je peux me joindre. Bien que Max n’ait pas pu venir, ma bonne amie Hanna Restorp et ses garçons ont pu se joindre à nous. Lors de ce voyage, Mathias et Mika étaient les enfants les plus âgés et détenaient plus d’expérience avec les longues randonnées en sac à dos. C’est magique de les voir manifester du leadership, tout en apportant leur aide et en motivant les autres. Et pour moi, le fait de partager cela avec ma meilleure amie et ses enfants est aussi magique.

Onze ans après être devenus parents, les aventures dans les refuges font partie intégrante de notre vie. Mais de nos jours, Max et moi sommes surtout des gardiens, ceux qui aident à concrétiser ces aventures magiques qui se forment dans l’esprit de nos garçons, maintenant qu’ils imaginent par eux-mêmes les possibilités s’offrant à eux. Ils ont trouvé la magie que j’espérais partager avec eux dès leur naissance.

Je n’ai jamais vraiment réintégré mon ancienne vie, celle avant l’arrivée de mes enfants, comme je prévoyais le faire. J’ai fait la paix avec mon ego et mes ambitions d’alpinisme, découvert un nouvel espace, et ce faisant, je suis tombée éperdument en amour avec mes enfants et leurs petites aventures.



Zoe Hart est une grimpeuse et alpiniste, et est la quatrième femme américaine à obtenir sa certification de l’International Federation of Mountain Guides Association (IFMGA). Elle vit avec sa famille à Chamonix, en France.