Écrit par:Keith Malloy, surfeur professionnel
Photos par:Nick Kelley, Ryan Miller
Lieu:Teahupo’o, Tahiti
Même pour les meilleurs surfeurs de grosses vagues, Teahupo’o est terrifiant. Appelée respectueusement « freak of nature » (curiosité de la nature), la vague monstrueuse est assez incroyable, dans un environnement aussi magnifique qu’invraisemblable. Mais pour Matahi Drollet, surfeur tahitien et passionné d’activités sur et sous l’eau, cet endroit est sa maison, et cette vague est sa zone de confort. Pour Keith Malloy, surfeur professionnel, Matahi est aussi authentique que possible.

Je me souviens qu’au début des années 1990, mon frère Chris s’est rendu à Tahiti un été et lorsqu’il est revenu, il a dit : « Je pense avoir surfé sur la meilleure vague au monde. » Et à ce moment-là, personne à l’exception de quelques locaux qui surfaient là-bas n’en avait entendu parler. Aujourd’hui, cette vague, Teahupo’o, est au sommet, si ce n’est pas au premier rang, de chaque palmarès des vagues les plus grandes et les plus puissantes au monde

Le surfeur professionnel Matahi Drollet est né et agrandi à Tahiti. Mais vous ne le trouverez pas sur le circuit compétitif; il préfère passer son temps à la recherche des vagues les plus grandes et les plus puissantes au monde. Ce qui est logique, comme la vague sur laquelle il se sent chez lui, sur laquelle il s’entraîne et avec laquelle il ressent un lien spirituel, c’est Teahupo’o.

J’ai appris à connaître Matahi en filmant des « Fishpeople ». Il a insisté sur le fait qu’il faisait toujours preuve de respect envers l’océan, notamment en se présentant uniquement lorsque son corps et son esprit sont à 100 %. Cela explique possiblement pourquoi à l’âge de 16 ans, il a affronté une vague absolument massive à Teahupo’o, attirant ainsi l’attention du monde du surf. Puis, en 2021, il a obtenu le titre d’avoir surfé sur l’une des plus grandes vagues à Teahupo’o après une attente de neuf heures. Neuf heures passées à laisser les vagues passer les unes après les autres, sans en prendre d’assaut une seule, car il savait ce qu’il cherchait

Il savait que l’eau du mur causé par la vague ne devait plus être bleue, mais plutôt noire. Et pendant cette période d’attente, il demandait à l’océan de lui envoyer la vague. « Merci de m’offrir ce que je recherche. Je sais que tu sais ce que je veux », a déclaré Matahi à propos de sa demande. L’océan a récompensé sa patience, et lorsqu’il a vu l’horizon devenir sombre, il savait que la vague qu’il attendait arrivait.

Ci-dessus:« Teahupo’o » désigne à la fois le village et la vague, les deux représentant la maison pour Matahi, un surfeur professionnel qui est né et a grandi à Tahiti.
Ci-dessus:Il n’est pas exagéré de dire que la vague se trouve dans la cour de Matahi. Le matin, il peut entendre le son de l’océan et savoir si c’est une bonne journée pour le surf.

À LA DÉCOUVERTE DE TEAHUPO’O

Au début des années 1960, « The Endless Summer » s’est rendu à Tahiti et montrait des scènes de surf sur les vagues de récif. Ils ont surfé dans les endroits populaires avec les habitants, des vagues amusantes à surfer, le tout avec un arrière-plan paradisiaque. Teahupo’o était là, bien sûr, mais elle n’était pas connue. 

À la fin des années 1980, les gens pensaient tout simplement qu’il n’était pas possible de surfer sur cette vague. Les légendaires surfeurs Mike Stewart et Ben Severson ont réussi à surfer sur la vague avec une planche ventrale, mais il y avait encore des doutes sur le fait de pouvoir se lever sur Teahupo’o. La vague est si puissante, épaisse et rapide, et personne n’avait conquis des vagues comme celle-ci sur une planche de surf auparavant. Avec une vague si imposante se brisant sur un récif peu profond (en raison de ce dernier) et tranchant, avec une profondeur d’aussi peu que 0,5 m d’eau, tenter sa chance est non seulement intimidant, mais ça représente un danger pour la vie.

ALORS QUE LE MONDE DU SURF NE FAISAIT QUE DÉCOUVRIR CETTE VAGUE, MATAHI AVAIT GRANDI ICI, REGARDANT SON FRÈRE CHARGER TEAHUPO’O.

Mais au début des années 1990, les surfeurs tahitiens locaux Vetea Poto David, Raimana Van Bastolaer et le frère aîné de Matahi, Manoa Drollet, étaient les premiers à montrer que c’était possible. Lorsque la planche de surf à trois ailerons (tridérive) est arrivée, elle a permis aux surfeurs de mieux surfer sur des vagues raides et puissantes partout dans le monde, et Teahupo’o a été découverte.

J’ai fini par y aller quelques années après mon frère, et bien que les vagues n’aient pas été optimales ce jour-là, j’ai tout de même eu droit à un avant-goût. Et peu de temps après, des concours de surf se tenaient à cet endroit.

Les faces de 3 à 6 mètres ont complètement époustouflé les gens.

Et bien que le reste du monde du surf ne faisait que découvrir cette vague monstrueuse communément et respectueusement appelée « freak of nature » (curiosité de la nature) en raison de sa puissance, Matahi avait grandi dans cet océan et regardait son frère (de 20 ans son aîné) charger Teahupo’o.

Ci-dessus:Être un homme de l'eau fait partie de la culture locale. Lorsque Matahi n'est pas en train de surfer, il nage, pêche au harpon, pagaie ou attrape des vagues sur son foil board.

LA FIN DE LA ROUTE

Pour moi, Tahiti et plus précisément Teahupo’o, sont les endroits les plus magiques sur terre. Les immenses montagnes vertes, l’eau cristalline, les chutes d’eau et la vague la plus incroyable au monde lui donnent une allure vraiment majestueuse, presque fictive.

Teahupo’o, la vague et le village, se trouvent à l’angle sud-ouest de la plus petite île de Tahiti. C’est le coin le plus éloigné que vous pouvez atteindre sur l’île, avec la route qui s’arrête essentiellement où les vagues se brisent. C’est pourquoi l’emplacement est connu sous le nom de « The End of the Road » (la fin de la route). Parce que c’est exactement ce que c’est.

Pour les Tahitiens, l’océan et les rivières font naturellement partie de la vie quotidienne et représentent une source de connexion intime pour les gens qui y vivent. Ayant grandi à Tahiti, Matahi pêche et nage dans ces eaux depuis l’âge de 12 ans. La pêche et la pêche sous-marine tôt le matin et tard le soir avec une lampe de poche lui offrent une familiarité unique avec le récif. Il sait où se trouvent les canaux, comment les courants se déplacent, et est généralement en mesure de bien s’orienter ici, ce qui lui permet d’être plus à l’aise et en confiance lorsque les vagues sont grandes. Ainsi, lorsqu’il se fait battre par une grande vague, il connaît si bien le récif qu’il est capable de naviguer sous l’eau pour se rendre là où il veut aller

Ci-dessus:«La pêche sous-marine a changé la donne dans ma vie. Cela m’aide à avoir confiance dans l’eau, et m’enseigne à rester calme et à être patient tout en retenant ma respiration sur une vague. »
Ci-dessus:À Tahiti, lorsque vous voulez manger du poisson, vous sortez pour en attraper quelques-uns. Si vous pouvez nager, ou si vous avez un bateau et une arbalète de pêche sous-marine, vous aurez toujours quelque chose à manger.

LA VAGUE PARFAITE POUR APPRENDRE

Matahi a dit que Teahupo’o « n’est pas une vague difficile. C’est une vague parfaite pour apprendre à surfer dans un tube. » Je ne peux m’empêcher de rire, parce que c’est comme dire qu’une piste à trois losanges noirs est l’endroit idéal pour apprendre à skier. 

Certains des meilleurs surfeurs de la WSL sont complètement terrifiés à l’idée de surfer sur cette vague. Le meilleur des meilleurs ne dort pas la nuit avant de tenter son coup. 

Mais, selon Matahi, la vague est si mécanique que si vous avez l’occasion de surfer sur elle chaque fois qu’elle se brise, qu’elle soit de 1,2 m à 1,8 m ou de 6 m, elle est fiable. Et comme Teahupo’o est sa maison, il a pratiquement l’occasion de surfer sur cette vague chaque fois qu’elle se brise, profitant fréquemment de files d’attente vides lors d’une journée où les vagues atteignent de 2,4 m à 3 m simplement parce qu’il est là. Donc, pour lui, c’est un bon terrain de jeu pour devenir un grand surfeur.

Ci-dessus:C’est une vague qui peut causer de l’insomnie même aux meilleurs surfeurs de grandes vagues, mais Matahi considère Teahupo’o comme son terrain de jeu pour devenir un grand surfeur.

UN VRAI PASSIONNÉ D’ACTIVITÉS SUR ET SOUS L’EAU

Naturellement, l’exposition constante de Matahi à des vagues, à un récif, et son respect envers l’océan et son lien avec elle contribuent à son succès sur Teahupo’o. Mais il faut aussi du courage, de l’engagement et des compétences pour affronter cette vague tous les jours.

Matahi a bien des raisons d’être fier : il peut affirmer avoir surfé sur l’une des plus grandes vagues jamais vues à Teahupo’o et il surfe régulièrement sur cette vague incroyable avec sa planche d’aluminium (il travaille à surfer dans un tube sur cette même planche); il a également obtenu une place convoitée à l’Eddie Aikau Invitational 2023. En plus de ses réalisations sur l’eau, Matahi parle couramment le tahitien, le français et l’anglais, mais demeure tout de même très terre à terre, gentil, généreux et doux; c’est un plaisir absolu d’être en sa compagnie. Être confiant à Teahupo’o n’est pas chose facile. Être polyvalent en ce qui a trait aux activités sur et sous l’eau ne l’est pas non plus. Il repousse les limites du surf, inspirant les nouveaux adeptes du sport et même les surfeurs des générations précédentes.

Vivant dans une partie du monde aussi magnifique qu’invraisemblable et maîtrisant une vague incroyable, Matahi Drollet est aussi authentique que possible.

Keith Malloy est ambassadeur YETI, surfeur professionnel et cinéaste. Du pagayage dans l’océan sur de longues distances au surf de grandes vagues en passant par le surf sans planche, Keith se sent chez lui dans l’océan, dans presque toutes les disciplines. Lorsqu’il n’est pas en train de voyager à travers le monde, il vit à Gaviota, en Californie, chassant les vagues locales avec sa femme et ses trois enfants.